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Appréciation de la covisibilité d’un projet avec un Monument Historique : l’acuité visuelle devient la seule limite

Dans une décision récente, le Conseil d’Etat précise l’appréciation de la covisibilité d’un projet situé en abord de Monument Historique, laquelle n’est pas circonscrite au périmètre de 500 mètres autour de ce Monument Historique et peut s’effectuer depuis tout point accessible au public, à condition que l’œil nu le permette (CE, 5 juin 2020, req. n° 431994, Tab.Leb.). Or, l’appréciation de la covisibilité repose sur l’architecte des Bâtiments de France (ABF) et conditionne la prise d’un avis simple ou d’un avis conforme (accord). Cette décision présente-t-elle un risque supplémentaire pour la régularité des autorisations d’urbanisme au pays des 50 000 Monuments Historiques (sauf s’agissant de projets inclus dans les périmètres délimités des abords (PDA)) ?

I. Critères d’appréciation de la covisibilité : à l’œil nu, depuis tout lieu accessible au public 

Premier critère : Accessibilité au public

Hors le cas où le projet est visible depuis le Monument Historique situé à moins de 500 mètres, la jurisprudence a progressivement bâti la notion de covisibilité du projet avec le Monument Historique dans les abords duquel il se situe.

D’abord, la distance de 500 mètres s’entend d’un rayon à partir du Monument Historique (CE, 29/01/1971, n° 76595).

Ensuite, la visibilité peut être partielle, c’est-à-dire d’une partie seulement du projet (CE, 04/11/1994, n°103270) ou limitée à une certaine période de l’année en fonction de l’état de la végétation (CE, 11/02/1976, n° 95676).

Enfin, la visibilité s’apprécie à partir de tout point « normalement » accessible au public, que ce soit au sol ou en hauteur, y compris de manière saisonnière, payante et après la montée de 300 marches (CE, 20/01/2016, n° 365987).

La notion d’accessibilité au public a été étendue au fil des années : ce qui devient accessible de manière normale (à l’exclusion, par exemple, des journées européennes du Patrimoine, etc.) augmente le champ de covisibilité possible, et inversement.

Second critère : A l’œil nu

L’apport principal de la décision commentée s’agissant de la covisibilité réside dans le critère « d’acuité visuelle » posé par le Conseil d’Etat.

Celui-ci juge en effet, d’une part, que « les dispositions de l’article L. 621-30 du code du patrimoine ne s’opposaient pas à ce que l’existence d’une covisibilité soit constatée depuis un point situé à plus de cinq cents mètres du monument concerné », admettant ainsi expressément la possibilité qu’un projet soit covisible en dehors du périmètre de 500 mètres.

D’autre part, le Conseil d’Etat apporte une restriction pour le moins subjective : le projet doit être visible en même temps que le Monument Historique à l’œil nu (10/10 à chaque œil ?).

Dans cette affaire, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a donc dénaturé les faits de l’espèce en jugeant que l’absence d’accord de l’ABF sur un projet pour lequel la covisibilité était démontrée au moyen d’une photographie prise au téléobjectif était de nature a créer un doute sérieux sur la légalité du permis de construire (CE, 05/06/2020, préc.).

II. Comment sécuriser les autorisations d’urbanisme à cet égard ?

Analyser l’environnement du projet pour évaluer les cas de covisibilité

En application de l’article R. 425-1 du code de l’urbanisme, toute autorisation d’urbanisme délivrée pour un projet visible ou covisible qui serait situé dans le périmètre de 500 mètres doit faire l’objet d’un accord de l’ABF – et non d’un avis simple –, à défaut de quoi il ne peut valoir autorisation au titre de l’article L. 621-30 du code du patrimoine (CE, 15/01/1982, n° 11373) ; étant précisé que le défaut d’accord dans la procédure de délivrance de l’autorisation d’urbanisme est régularisable par permis de construire modificatif (CE, 02/02/2004, n° 238315).

Avec la nouvelle solution jurisprudentielle, il est désormais acquis que l’analyse de la covisibilité depuis des lieux normalement accessibles au public (notamment ceux situés en hauteur) devient impérative même si le point d’observation se situe en dehors du cercle des 500 mètres.

Se posera ensuite la question de savoir, pour les porteurs de projet, s’ils devront solliciter des ABF qu’ils prennent des décisions tacites réputées favorables au titre de l’article L. 632-2 du code du patrimoine afin de limiter les erreurs de droit liées au visa de leurs avis et censurables par le juge (CE, 12/03/2007, n° 275287) ?

Encourager les périmètres délimités des abords (PDA)

Une solution réglementaire existe pour sécuriser l’appréciation de la covisibilité avec un Monument Historique, et donc la nature de l’avis qui doit être émis : les périmètres délimités des abords (PDA).

En effet, en application de l’article L. 621-30 du code du patrimoine, tout projet situé à l’intérieur d’un PDA est systématiquement considéré visible en même temps que le Monument Historique, de sorte que l’ABF doit donner son accord (avis conforme) sur les autorisations d’urbanisme, plaçant ainsi le service instructeur en situation de compétence liée en cas d’avis défavorable.

Conformément à l’article L. 621-31 du code du patrimoine, un PDA peut être institué par la procédure de modification du PLU, de la carte communale ou du document d’urbanisme en tenant lieu (mais également, lors de élaboration ou d’une révision d’un tel document).

N.B. : la délimitation du PDA fait l’objet d’une enquête publique et n’est pas immuable, puisque ce périmètre peut être modifié dans les mêmes conditions.

Retour sur la définition des abords de Monuments Historiques

L’article L. 621-30 du code du patrimoine dispose que :

« (…) II. – La protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l’autorité administrative dans les conditions fixées à l’article L. 621-31. Ce périmètre peut être commun à plusieurs monuments historiques.

En l’absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci. (…) »

Exemples casuistiques de covisibilité d’un projet avec un Monument Historique

– Une haie végétale, y compris persistante, ne permet pas d’écarter la covisibilité (CAA Marseille, 13/11/2018, n° 18MA02269 et CAA Bordeaux, 10/12/2019, n° 18BX00169) ;

– Un unique angle de covisibilité suffit (CAA Bordeaux, 12/02/2007, n° 04BX00894) ;

– Depuis tout type de voie ou emprise publique : rue, chemin rural, etc. (CE, 08/09/1997, n° 161956 et CE, 04/11/1994, n° 103270) ;

– Y compris depuis la plateforme de la cathédrale de Strasbourg située à 66 mètres de haut, dont l’accès est saisonnier et l’entrée payante (CE, 20/01/2016, n° 365987).

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Emilie Fabre

Juriste. Intervient en droit de l'urbanisme.

2 réflexions sur “Appréciation de la covisibilité d’un projet avec un Monument Historique : l’acuité visuelle devient la seule limite

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