Recevabilité – Intérêt à contester une autorisation environnementale – Personne morale de droit public – Dangers ou inconvénients affectant par eux-mêmes la situation ou les intérêts dont la collectivité a la charge
Par deux décisions datées du 1er décembre, le Conseil d’État juge qu’une personne morale de droit public ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers intéressé au sens de l’article R.181-50 du code de l’environnement, recevable à contester une autorisation environnementale, que dans le cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l’article L.181-3 qu’elle invoque sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue :
Au sens de ces dispositions, une personne morale de droit public ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation environnementale que dans les cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l’article L. 181-3 sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue.
Pour rappel, les dangers et inconvénients pouvant justifier de déférer à la juridiction administrative une autorisation environnementale et listés à l’article L.511-1 auquel renvoie l’article L.181-3 du code de l’environnement, sont les suivants : « soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique »
Ces deux instances ont donné au Conseil d’État l’occasion de se prononcer sur la recevabilité de chacun des échelons de collectivité.
Région. Dans la première instance considérée, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la CAA de Lyon ayant jugé que la région Auvergne-Rhône-Alpes n’était pas recevable à exercer un recours contre une autorisation environnementale pour l’exploitation de cinq aérogénérateurs :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier de l’atteinte que le projet litigieux est susceptible de porter à ses intérêts, la région faisait valoir qu’il se situe sur son territoire et qu’elle avait défini, dans son schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, des objectifs et des règles portant sur le développement de l’énergie éolienne visant à assurer la protection des paysages et de l’environnement. L’arrêt attaqué relève que la région n’est investie d’aucune responsabilité en matière de protection des paysages et de la biodiversité contre les atteintes que l’installation d’éoliennes pourrait provoquer sur son territoire et que la circonstance qu’elle ait adopté un schéma régional par lequel elle définit des objectifs relatifs aux projets éoliens est insusceptible de lui conférer un intérêt direct pour contester l’autorisation en cause. Dès lors que l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales confie seulement à la région la responsabilité de fixer des objectifs de moyen et long termes dans les matières qu’il énumère, ainsi que des règles permettant de contribuer à atteindre ces objectifs, l’arrêté litigieux, qui se borne à autoriser la construction et l’exploitation d’un parc éolien, n’est pas susceptible de porter atteinte, par lui-même, aux intérêts dont la région a la charge au regard de ces dispositions. Par suite, en jugeant, après avoir pris en compte les inconvénients ou dangers pour les intérêts mentionnés à l’article L. 181-3 susceptibles d’affecter sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue, que la région Auvergne-Rhône-Alpes ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’arrêté litigieux, la cour administrative d’appel a, par un arrêt suffisamment motivé et sans commettre ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique, fait une exacte application des règles gouvernant la recevabilité des recours de plein contentieux.
Communes limitrophes. En revanche, en jugeant que la situation des communes de Saint-Hilaire et de Meillers, limitrophes de la commune de Gipcy sur le territoire de laquelle le projet devait être implanté, ou les intérêts dont elles ont la charge n’étaient pas susceptibles d’être affectés par le projet, la CAA de Lyon a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits :
8. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Lyon a relevé que les communes de Meillers et de Saint-Hilaire faisaient valoir que le projet litigieux affecterait directement la qualité de leur environnement et aurait un impact sur leur activité touristique, en raison notamment de nuisances paysagères et patrimoniales résultant de la proximité ou covisibilité du site d’implantation du projet avec plusieurs monuments historiques et sites inscrits et de la présence de zones naturelles à préserver, dont une zone Natura 2000, susceptibles d’être affectées par le fonctionnement du parc éolien et situées à proximité immédiate de ce dernier. En jugeant que l’ensemble de ces circonstances ne suffisait pas à établir que la situation propre des communes de Meillers et de Saint-Hilaire ou les intérêts dont elles ont la charge seraient spécialement affectés par le projet devant être implanté sur le territoire de la commune voisine de Gipcy, la cour administrative d’appel de Lyon a, en l’espèce, entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits.
Département. Dans la seconde espèce, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la CAA de Bordeaux qui a jugé qu’un département ne présentait pas d’intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre d’une autorisation environnementale autorisant l’exploitation d’un parc éolien :
5. Par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel a retenu, d’une part, que le département de la Charente-Maritime ne justifie d’aucune compétence propre en matière de protection de l’environnement, des paysages ou du patrimoine, d’aménagement du territoire ou de lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie susceptible de lui conférer un intérêt direct à l’annulation de l’arrêté du préfet de la Charente-Maritime en date du 22 octobre 2020 et que la circonstance que le conseil départemental de la Charente-Maritime ait voté la création d’un observatoire de l’éolien et une demande de moratoire sur l’implantation de parcs éoliens sur le territoire du département est sans incidence à cet égard. Elle a retenu, d’autre part, que si le département dispose de compétences qui lui sont attribuées par la loi en matière de protection, de gestion et d’ouverture au public des espaces naturels sensibles, d’élaboration et de mise en oeuvre d’une politique touristique, laquelle comprend notamment l’élaboration d’un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, il ne justifie d’aucune atteinte que le parc éolien litigieux serait susceptible de porter aux intérêts dont il assume la charge au titre de ces compétences. La cour a aussi considéré qu’à supposer que le projet soit susceptible de porter atteinte à la commodité ou au cadre de vie des habitants de la Charente-Maritime, cette circonstance ne saurait permettre au département de justifier d’une incidence sur sa propre situation ou sur les intérêts dont il a la charge. Elle a relevé, enfin, que la compétence dont se prévaut le département en matière de promotion des solidarités et de la cohésion n’est pas au nombre des intérêts protégés par l’article L. 181-3 du code de l’environnement.
CE, 1er déc. 2023, n° 470723, Région Auvergne-Rhône-Alpes, Cne Saint-Hilaire et Cne Meillers, Tab. Leb.
CE, 1er déc. 2023, n° 467009, Dpt Charente-Maritime, Tab. Leb.