ExpropriationProcédure d'appel

Expropriation – Procédure d’appel – Revirement de jurisprudence – Production tardive des pièces de l’appelant – Caducité de la déclaration d’appel (non) – Irrecevabilité des pièces communiquées tardivement (oui)

Par un arrêt rendu le 16 janvier 2025, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en jugeant désormais que la production tardive par l’appelant de ses pièces en procédure d’appel en matière d’expropriation n’est plus sanctionnée par la caducité de l’appel mais uniquement par l’irrecevabilité de ces productions.

Dans le cadre de la présente affaire, qui était portée devant la chambre des expropriations de la Cour d’appel (concernant une demande de fixation judiciaire du prix d’acquisition d’un bien préempté), les propriétaires appelants avaient déposé au greffe les pièces visées dans leur mémoire après l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Pour rappel, l’alinéa premier de cet article R. 311-26, spécifique à la procédure d’appel en matière d’expropriation, prévoit que :

« A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel ».

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, celle-ci jugeait jusqu’à présent que l’appelant devait déposer au greffe de la Cour d’appel, dans le délai de trois mois, à la fois son mémoire d’appel et les pièces qui y étaient jointes. A défaut, l’appel devait être considéré comme frappé de caducité (3e Civ., 29 février 2012, pourvoi n° 10-27.346, publié), y compris lorsque les pièces visées étaient identiques à celles produites en première instance (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-50.039, publié ; 3e Civ., 27 avril 2017, pourvoi n° 16-11.078, publié).

La Cour de cassation rappelle dans le présent arrêt que l’obligation de communication simultanée des conclusions et des pièces dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel poursuit l’objectif d’intérêt général de célérité de la procédure d’appel en matière d’expropriation.

Ceci étant, et opérant un net revirement de jurisprudence, la Haute juridiction relève que, dans la mesure où les conclusions ont, elles, été bien communiquées dans le délai imparti, la sanction de caducité de la déclaration d’appel qui s’attache à la production tardive de pièces ne s’inscrit pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, au regard du droit d’accès au juge garanti par l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Dès lors, la Cour de cassation considère désormais que la caducité de la déclaration d’appel n’est encourue que lorsque l’appelant n’a pas conclu dans le délai prévu par l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le défaut de communication des pièces dans ce délai n’étant sanctionné que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.

Elle ajoute, par des considérations similaires, que l’irrecevabilité des écritures de l’intimé n’est encourue que lorsque celui-ci n’a pas conclu dans le délai (de trois mois imparti à compter des écritures de l’appelant), la communication tardive des pièces n’étant sanctionnée que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.

La Haute juridiction précise que ces nouvelles règles de procédure sont d’application immédiate. 

« 13. Si l’obligation de communication simultanée des conclusions et des pièces dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel poursuit l’objectif d’intérêt général de célérité de la procédure d’appel en matière d’expropriation, la sanction de caducité de la déclaration d’appel qui s’attache à la production tardive de pièces lorsque les conclusions ont été communiquées dans le délai ne s’inscrit pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

14. En conséquence, il doit être jugé que la caducité de la déclaration d’appel n’est encourue que lorsque l’appelant n’a pas conclu dans le délai prévu par l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le défaut de communication des pièces dans ce délai n’étant sanctionné que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.

15. Les mêmes considérations conduisent à énoncer que l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé n’est encourue que lorsque celui-ci n’a pas conclu dans le délai prévu par le même texte, la communication tardive des pièces n’étant sanctionnée que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.

16. Ces nouvelles règles de procédure, en ce qu’elles garantissent l’accès au juge, sont d’application immédiate.

17. Il en résulte qu’en déclarant l’appel caduc, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cass, 3e civ., 16 janvier 2025, n° 23-20.925 et suiv., Bull.

Réseaux sociaux