Bulletins

Nos friches ont de l’avenir : n’ayons pas peur du tiers demandeur !

A l’heure du ZAN (zéro artificialisation nette) et de la recherche de fonciers disponibles, la réhabilitation des friches représente une piste sérieuse pleine d’opportunités. Elle nécessite toutefois une certaine dextérité dans le maniement des nombreuses législations qu’elle convoque (loi sur l’eau, espèces protégées, défrichement, dépollution). A cet égard, la procédure du « tiers demandeur », créée par la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014, constitue une étape incontournable et semble parfois méconnue.

Focus sur cet outil récent qui vise à simplifier et à encourager la reconversion des friches (I.) bien qu’il demeure encore perfectible (II.).

I. Un outil récent visant à simplifier et à encourager la reconversion des friches

Le tiers demandeur se substitue au dernier exploitant pour réaliser la réhabilitation de friches

En principe, en cas de mise à l’arrêt définitif d’une ICPE, le dernier exploitant de cette ICPE est responsable des obligations de remise en état (mise en sécurité / mesures de réhabilitation)1, dont la charge financière lui incombe pendant trente ans à partir de la cessation d’activité.

Avant la loi ALUR, cette obligation n’était pas cessible. En d’autres termes, quand bien même une telle obligation était transférée par acte de droit privé, la responsabilité du point de vue administratif incombait au dernier exploitant.

Ce faisant, la reconversion des friches, objectif pourtant intéressant dans une perspective de lutte contre l’étalement urbain et la reconstruction de la ville sur la ville, n’était saisie ni par les acteurs de l’immobilier, qui y voyaient une complexité quelque peu inextricable, ni (surtout) par les exploitants, frileux, car toujours responsables aux yeux de l’administration.

L’article L. 512-21 du code de l’environnement a donc été introduit par la loi ALUR pour permettre à un « tiers demandeur » de se substituer au dernier exploitant pour réaliser tout ou partie des travaux de réhabilitation en fonction de l’usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné.

Une substitution opérée au terme d’une procédure conduite en deux étapes

Etape 1 : la demande d’accord préalable 

Le tiers demandeur adresse au préfet une demande d’accord préalable comprenant l’accord écrit du dernier exploitant, les avis du maire ou du président de l’EPCI ainsi que du propriétaire du terrain s’il ne s’agit pas du dernier exploitant et la proposition du ou des types d’usages futurs qu’il envisage (art. R. 512-76 du c. env.).

Le préfet (i) statue sur la demande d’accord préalable dans un délai de 2 mois, (ii) détermine le cas échéant les usages futurs du site et (iii) fixe un délai dans lequel un dossier de demande de substitution doit être déposé.

Etape 2 : l’acceptation de la demande de substitution par arrêté préfectoral (art. R. 512-78 du c. env.)

Le préfet statue sur la substitution, dans un délai de 4 mois à compter de la réception du dossier comprenant :

  • un mémoire de réhabilitation élaboré au vu de l’état du site au moment de l’arrêt définitif de l’installation,
  • une estimation du montant des travaux de réhabilitation, des mesures de surveillance et, le cas échéant, des mesures de mise en sécurité,
  • la démonstration des garanties financières.

  II. Un outil d’avenir qui demeure encore perfectible

Un nouveau cadre témoignant de la volonté de déployer l’outil

Au vu des résultats positifs du dispositif mis en œuvre (140 cessations d’activité et 80 arrêtés de substitution entre 2015 et 2023), en particulier dans les zones urbaines où le coût de la dépollution est compensé par le coût de l’immobilier, la sécurisation des transactions portant sur les sites industriels a été encore accrue avec la loi « industrie verte »2, précisée par le décret du 6 juillet 2024 :

  • le tiers demandeur peut désormais se substituer à l’exploitant dès la cessation d’activité et réaliser les travaux de mise en sécurité, en plus des travaux de dépollution ;
  • en cas de défaillance du tiers demandeur (impossibilité de mettre en œuvre les garanties financières), le dernier exploitant demeure uniquement responsable de la mise en sécurité.

Ces allégements de responsabilité de l’ancien exploitant sont bienvenus pour rendre attractif le dispositif du tiers demandeur. Le chemin est toutefois toujours semé d’embûches pour les porteurs de projet.

Notons toutefois que le décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte a supprimé la possibilité d’échelonner la présentation des garanties financières selon les tranches des travaux de réhabilitation. Cependant, il ne semble pas que la possibilité de recourir à un phasage des travaux soit remise en cause.

La persistance de plusieurs angles-morts qui constituent autant de défis pour l’avenir

Bien que le législateur encourage les acteurs à s’emparer de ce mécanisme stratégique pour remplir les objectifs en matière de consommation foncière, il nous semble que plusieurs problématiques restent à traiter afin de permettre à cet outil d’exprimer tout son potentiel dans la reconversion des friches  :

  • la première relève de la science administrative et procède du constat que la coordination entre les autorisations administratives et les services sollicités pourrait être largement améliorée. Aucun chef d’orchestre ne chapeaute en effet ces projets, rendant les blocages très fréquents ;

  • la deuxième est juridique : une dérogation espèces protégées est parfois rendue nécessaire dès les travaux de dépollution3. Pour autant, aucune présomption d’intérêt public majeur ne facilite son obtention , ce qui retarde d’autant la délivrance de l’arrêté de substitution ;

  • la troisième est économique : alors que le fonds vert est menacé, les charges financières des opérations de réhabilitation ne reculent pas. Celles-ci sont par ailleurs doublées de difficultés juridiques lorsque la dépollution s’avère beaucoup plus coûteuse que prévu et qu’une modification (voire un abandon) du projet devient une option de sauvegarde…

Quelques précisions

1 art. L. 512-6-1, R. 512-19-1 et suiv. c. env. ; CE, 8 juillet 2005, Société Alusuisse-Lonza-France, n° 247976.

2 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte. V. également l’étude d’impact de la loi.

3 « Les espèces protégées, angle mort de la remise en état des friches », avec O. Bonneau in « Construire sur une friche : mode d’emploi », Dir. O. Bonneau et C. Morot., Opérations Immobilières, n° 163, mars 2024.

Réseaux sociaux