Contrats et propriétés publics

Hausse des prix et commande publique – Modification du contrat (oui) – Imprévision – Avis du Conseil d’Etat

Interrogé par le gouvernement le 14 juin dernier, le Conseil d’État a rendu son avis le 15 septembre 2022 sur les possibilités ouvertes aux titulaires d’un contrat de la commande publique pour faire face à la hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières.  

Publié par le Ministère de l’Economie, cet avis s’accompagne d’une fiche rédigée par la DAJ explicitant ses incidences.

Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle que le code de la commande publique autorise les modifications des marchés (article R.2194-1 à R.2194-9) et des concessions (et R3135-1 à R.3135-9) sans nouvelle mise en concurrence. En particulier, le Conseil d’Etat précise qu’en dépit de son caractère définitif le prix d’un marché peut être modifié par modification conventionnelle des clauses financières du marché pour faire face à une modification imprévisible des conditions d’exécution du contrat.

Il précise en outre que rien ne s’oppose à une modification « sèche » du contrat, c’est-à-dire à ce qu’une modification ne porte que sur le prix ou tarif de celui-ci, sans modifier ses caractéristiques ou conditions d’exécution, dans le but de compenser les surcoûts subis par le cocontractant résultant d’un évènement imprévisible.

“Rien n’empêche que les modifications des marchés et contrats de concession portent uniquement, en vue de compenser les surcoûts que le titulaire ou le concessionnaire subit du fait de circonstances imprévisibles, sur le prix ou les tarifs prévus au contrat ainsi que sur les modalités de leur détermination ou de leur évolution”.

La modification du prix doit cependant se justifier par l’un des motifs énoncés dans le code de la commande publique.

  • En premier lieu, le Conseil d’État rappelle que les parties peuvent procéder à la modification du contrat sans nouvelle mise en concurrence dès lors qu’une circonstance imprévisible au moment de la conclusion du contrat a bouleversé son économie générale (article R. 2194-5 du code de la commande publique pour les marchés publics, et R.3131-5 pour les concessions). En pareil cas l’augmentation des tarifs doit être strictement limitée aux conséquences des circonstances imprévisibles, et à ce qui est nécessaire pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique.
    En outre, il indique que les circonstances imprévisibles s’entendent de celles dont les conséquences relatives à « l’augmentation des dépenses exposées par l’opérateur économique ou la diminution de ses recettes (…) ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat. » Ces modifications sont limitées à 50% du montant initial du marché, pour chacune d’entre elles, ainsi que le prévoient les dispositions du code de la commande publique lorsque le contrat est conclu par un pouvoir adjudicateur.
  • En second lieu, les parties peuvent également modifier le contrat sans nouvelle mise en concurrence pour tenir compte de la hausse des prix si les modifications sont de faible montant : 10% pour les marchés de service et les concessions, et 15% pour les marchés de travaux (articles R.2194-8 et R.3135-8 du code de la commande publique).

Le Conseil d’État précise que si le titulaire du marché ou le concessionnaire dispose du droit de solliciter une modification ainsi justifiée, rien n’impose au pouvoir adjudicateur ou à l’autorité concédante d’y faire droit.

« Il convient enfin de souligner que si de telles modifications contractuelles sont possibles, dès lors qu’elles correspondent aux hypothèses et respectent les conditions et limites fixées par les dispositions qui leur sont applicables, l’autorité contractante, qui doit veiller au respect de l’exigence constitutionnelle de bon emploi des deniers publics, qui découle de l’article 14 de la Déclaration de 1789, et qui est reprise à l’article L. 3 du code de la commande publique, n’est en aucun cas contrainte d’en prendre l’initiative ou de les accepter ».

Dès lors, le titulaire du marché ou le concessionnaire ne bénéficie pas d’un droit à la modification conventionnelle des conditions d’exécution financières pour prendre en compte le bouleversement, même imprévisible, de l’économie du contrat résultant de la hausse des prix.

Enfin, le Conseil d’État indique qu’une modification du contrat n’empêche pas de mettre en oeuvre les garanties prévues dans le cadre de la théorie de l’imprévision. Le titulaire du marché ou le concessionnaire peut alors solliciter l’indemnisation du préjudice qu’il a subi en raison de ce bouleversement économique devant le juge sur le fondement de la théorie de l’imprévision.

Ce principe est énoncé par l’article L.6 du code de la commande publique, qui reprend la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928 ; CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155) aux termes de laquelle, comme le rappelle l’avis :

« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité »

Concernant cette indemnité, qui vise à compenser la charge financière extra contractuelle subie par le titulaire du marché ou le concessionnaire, la haute juridiction précise qu’elle n’est pas soumise à la limite de 50% du montant initial du marché imposée aux pouvoirs adjudicateurs par le code de la commande publique.  

Ainsi, le titulaire d’un marché de travaux ou le concessionnaire n’a aucune garantie tenant à ce que les charges extra contractuelles qu’il supporte en raison d’une hausse des prix soient prises en compte conventionnellement.

Le seul moyen pour lui de faire face à ces charges est donc de saisir le juge d’une demande indemnitaire à l’issue du contrat.

CE, avis, 15 septembre 2022, n°405540

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