BulletinsContentieux de l’urbanismeDroit de l'urbanisme

Décision de sursis à statuer illégale : seule la preuve du caractère direct et certain du préjudice de non-réalisation du projet immobilier permet au pétitionnaire d’obtenir réparation du manque à gagner

Saisie d’une demande indemnitaire tendant à obtenir réparation du préjudice résultant de la perte de bénéfices liée à l’impossibilité de réaliser une opération immobilière à la suite d’une décision de sursis à statuer illégale, la cour administrative de Bordeaux, dans un arrêt du 15 novembre 2018, fait application du principe jurisprudentiel établi par le Conseil d’Etat dans sa décision du 15 avril 2016 «Commune de Longueville » (n° 371274) selon lequel seules des « circonstances particulières » permettent au pétitionnaire d’obtenir réparation. Cet arrêt offre l’occasion de revenir sur les conditions permettant à un pétitionnaire, s’estimant victime d’une décision d’urbanisme illégale, d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices – C.A.A. Bordeaux, 15 novembre 2018, n°16BX02386

I. UNE DECISION ADMINISTRATIVE ILLEGALE ENGAGE LA RESPONSABILITE DE LA COLLECTIVITE

Une décision administrative illégale engage la responsabilité de la collectivité

Faisant application d’un principe jurisprudentiel constant du droit administratif établi de longue date par le Conseil d’Etat (cf.  CE, Sect.,  26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourtn°84768), la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle, s’agissant d’une décision de sursis à statuer illégale opposée à une demande de permis de construire trois logements, que :

« cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune (…) »

Ce principe jurisprudentiel est, bien sûr, également applicable dans l’hypothèse d’un refus de permis de construire illégal (CE, 15 avril 2016, n° 371274).

Les frais de conception et d’élaboration peuvent donner lieu à indemnisation

S’il n’a pas obtenu ultérieurement le permis de construire, le pétitionnaire a droit à l’indemnisation des frais exposés pour la réalisation du projet en cause, dès lors qu’est démontré un préjudice direct et certain.

La jurisprudence a déjà admis l’indemnisation :

–  des frais d’architectes à hauteur de 29 900 € (et ce, alors même que les factures avaient été établies un an après la décision de refus de permis de construire illégale) (C.A.A. Nantes,14 juin 2013, n° 11NT02135) ; – des frais de géomètres (C.A.A. Marseille, 9 février 2012, n° 10MA01181) ; – des frais financiers à hauteur de 150 000 € qu’aurait pu percevoir le pétitionnaire en procédant au placement bancaire, pendant 5 ans d’une somme de 2 197 800 € liée à la vente des logements (C.A.A. Marseille, 10 juillet 2018, n°  16MA02556)

II. LA RÉPARATION AU TITRE DU MANQUE A GAGNER EST CONDITIONNÉE PAR LA PREUVE CONCRETE D’ENGAGEMENTS SOUSCRITS OU DE L’ETAT AVANCÉ DE NÉGOCIATIONS

Le manque à gagner est indemnisé dans l’hypothèse de « circonstances particulières »

La C.A.A. de Bordeaux rappelle dans son arrêt du 15 novembre 2018 que la perte de bénéfices ou le manque à gagner « revêt un caractère éventuel et ne peut, en principe, ouvrir droit à réparation ». Ainsi, la seule perte de chance de réaliser une opération immobilière n’est pas suffisante, en elle-même, pour permettre la réparation d’un tel préjudice.

Cependant, le juge administratif réserve une exception à ce principe et admet que, dans l’hypothèse de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, le pétitionnaire soit en droit d’obtenir réparation au titre du bénéfice qu’il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

Seule la preuve du caractère direct et certain du préjudice permet d’obtenir réparation

Le juge administratif reste cependant particulièrement exigeant quant à la preuve  du caractère direct et certain du préjudice résultant du manque à gagner invoqué par les pétitionnaires. 

Ainsi, en l’espèce, et alors même que la société requérante se prévalait de la conclusion de contrats de réservation, le juge a rejeté les demandes indemnitaires dès lors qu’il n’avait pas été démontré que :-le délai particulièrement long mis à entamer les travaux aurait été en lien direct avec l’illégalité de la décision de sursis à statuer ;-les conditions suspensives d’obtention d’un prêt auraient été réalisées.

Un principe transposable aux lotissements

Ce principe est également applicable aux refus illégaux de permis d’aménager ou de décision d’opposition à déclaration préalable de division (en ce sens, voir notamment : CE, 12 juillet 2017, n° 394941).

Le juge administratif est ici d’autant plus réticent à admettre la réparation du préjudice du pétitionnaire au titre du manque à gagner que le titulaire d’un permis d’aménager ne bénéficie pas d’un droit acquis à la délivrance du permis de construire sur le périmètre du lotissement (CE, 3 février 2016, n°  374695).

Abrévations

C.A.A. : Cour Administrative d’Appel

CE : Conseil d’Etat

Réseaux sociaux

Simon Guirriec

Avocat, intervient en droit de l'urbanisme commercial et dues diligences