Pour un référé-suspension plus efficace à l’encontre d’un refus de permis de construire
Le refus de transmission récente d’une QPC s’agissant du refus de permis de construire (CE, 7 octobre 2021, n° 451827) met en lumière l’écart progressivement creusé entre le régime du contentieux du permis de construire et celui du refus, qui ne bénéficie d’aucune particularité procédurale (absence de suppression d’un degré d’appel, de cristallisation automatique des moyens, de présomption du caractère urgent en matière de référé, durée de jugement non limitée à 10 mois, etc.). Pourtant, compte tenu des enjeux en matière de production de logements, le contentieux du refus nécessite tout autant d’attention et de célérité. Dans cet ordre d’idée, le référé-suspension mériterait d’évoluer afin de constituer un outil véritablement utile à l’encontre d’un refus de permis de construire.
L’appréciation trop restrictive de l’urgence
Condition suspensive et préjudice financier
Deux moyens ont déjà pu être accueillis pour justifier de l’urgence en matière de refus de PC (V. les Nota, colonne de gauche) : d’une part, celui s’appuyant sur une promesse de vente contenant une condition suspensive dont le terme arrive prochainement à échéance ; d’autre part, celui faisant état d’un préjudice financier.
Pour ce qui est de la condition suspensive, la rédaction de celle-ci est essentielle : -le défaut de condition suspensive d’obtention d’un permis de construire a pu être perçu comme un indice d’ « imprudence caractérisée » de nature à neutraliser la condition d’urgence1 ;-le défaut de réalisation d’une condition stipulée dans l’intérêt exclusif de l’acquéreur n’a ni pour objet, ni pour effet de rendre caduque une promesse, de sorte que le refus dont est demandée la suspension ne fait pas obstacle à l’acquisition du bien2.
Pour ce qui est du préjudice financier, la preuve d’une urgence en procédant est particulièrement difficile à rapporter : -l’urgence n’est pas caractérisée lorsque la signature de contrats de réservation révèle une imprudence du pétitionnaire qui aurait dû attendre la « purge » du permis de construire (en l’espèce, contestation du retrait d’un permis)3 ;-un retard dans le début de l’exploitation commerciale est purement éventuel et ne permet pas de qualifier l’urgence à suspendre un refus4.
De l’intérêt d’une présomption d’urgence
L’appréciation très restrictive des critères relatifs à la qualification de l’urgence fait obstacle au succès d’un référé-suspension en ce domaine.
Pourtant, la pratique témoigne d’une certaine instrumentalisation du refus de permis, opposé par des maires de manière parfois « abusive » aux pétitionnaires.
Si le législateur a pu identifier ce phénomène et si la jurisprudence Préfet des Yvelines a constitué un signal fort en permettant au juge d’enjoindre de délivrer un permis de construire à la suite de l’annulation d’un refus, ce régime demeure très largement perfectible.
En effet, les délais de jugement font obstacle à la bonne exécution de projets qui, bien que parfaitement légaux, sont souvent abandonnés de ce fait. Or, les enjeux sus-rappelés en matière de production de logements libres comme sociaux justifieraient une adaptation du régime du référé-suspension intenté contre les refus d’autorisation d’urbanisme.
Il apparaîtrait à cet égard opportun, à tout le moins dans les « zones tendues » (cf. art. 232 CGI) et dans les communes carencées, d’instituer une présomption d’urgence en ce qui concerne les référés-suspension introduits à l’encontre non seulement des retraits de permis de construire (cf. notre bulletin sur le rapport Rebsamen II) mais également des refus de permis de construire portant sur des opérations de logements.
Une suspension aux effets encore limités
Le permis provisoire
Le juge des référés, après avoir suspendu un acte administratif, peut enjoindre à l’autorité compétente de réexaminer la demande5. Néanmoins, il est considéré que les décisions prises à la suite de ce réexamen disposent d’un caractère par nature provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation6.
La jurisprudence a précisé le régime applicable aux permis éventuellement délivrés à la suite de l’injonction de réexamen de la demande consécutive à la suspension d’un refus de permis.
Il en ressort qu’un tel permis, parce qu’il revêt un caractère provisoire, peut être retiré en raison de son illégalité ultérieurement révélée par le jugement au fond, rejetant le recours contre la décision initiale de refus. Ce retrait intervient alors à l’issue d’une procédure contradictoire, dans un délai de trois mois suivant la notification à l’administration dudit jugement7.
Le Conseil d’État a précisé qu’il en allait de même dans l’hypothèse où le bénéficiaire du permis provisoire se désiste de son recours en annulation du refus dont il a obtenu la suspension.
Tout cela est de nature à relativiser l’intérêt de la suspension du refus de permis de construire.
Un intérêt encore restreint
Si le chemin pour y parvenir peut apparaître tortueux, obtenir la suspension d’un refus de permis de construire n’est toutefois pas neutre.
Tout d’abord, elle représente un signal fort. En effet, la reconnaissance du caractère d’urgence ne suffit pas à emporter la suspension d’un refus de permis de construire. Il faut encore démontrer qu’un doute sérieux quant aux motifs de refus du permis de construire est constitué.
Eu égard à ce doute sérieux sur la légalité de son refus, la commune se trouve amenée à reconsidérer sa position ; plus encore, elle ne peut pas, en raison de la force obligatoire de l’ordonnance de suspension, et sauf circonstances nouvelles, prendre une nouvelle décision de refus en se fondant sur des motifs identiques à ceux de la décision de refus initiale8.
Enfin, une ordonnance de suspension d’une décision a normalement pour effet d’accélérer le traitement de l’affaire au principal, avantage qui ne saurait être négligé.
Il serait toutefois pertinent, pour conférer une plus grande puissance au mécanisme, que le juge du fond soit contraint de statuer dans un délai déterminé (de l’ordre de 6 mois) à la suite d’une suspension.
Quelques précisions
L’urgence s’apprécie par la mise en perspective de l’atteinte grave et immédiate aux intérêts du pétitionnaire portée par le refus et de l’atteinte grave et immédiate à un intérêt public qui pourrait résulter de la suspension dudit refus (exemple de l’atteinte à une zone naturelle – contentieux éolien, CE, 25 novembre 2002, n° 248423 : « l’octroi du permis sollicité et l’installation de l’éolienne, avant l’intervention du jugement à rendre sur la légalité de la décision du préfet, porterait atteinte à l’intérêt public qui s’attache à la protection contre une atteinte non justifiée de la zone naturelle dans laquelle M. X… souhaite l’installer »).
Nota : le juge a pu retenir l’urgence lorsque la décision (en l’espèce, un sursis à statuer) est de nature à faire perdre le bénéfice de la promesse consentie sous condition suspensive de délivrance du permis (CE, 23 janvier 2004, n° 257779 – jurisprudence isolée) ; l’urgence a également été caractérisée dans le cas où le vendeur a indiqué attendre l’issue de la procédure de référé pour décider de poursuivre ou non la vente (malgré la caducité) (CE, 22 avril 2005, n° 276043)
Nota bis : un pétitionnaire qui fait état de l’incidence du refus sur son chiffre d’affaires et, surtout, de l’importance dudit projet dans ses perspectives d’activité et ses résultats d’exploitation a pu convaincre de l’atteinte grave et immédiate à ses intérêts, et donc de l’urgence à suspendre le refus de permis de construire (TA Nice, 7 juillet 2009, n° 0901719) ; De même, l’urgence a été reconnue dans le cas d’un troisième refus de permis opposé à la suite de deux refus ayant fait l’objet de suspensions. Dans cette hypothèse, il a été considéré que la situation financière était suffisamment affectée par des retards successifs apportés à l’instruction de sa demande de permis (CE, 2 février 2004, n° 257450).
Voir également à ce sujet :
Fabre Emilie, « Refus et retraits d’autorisations d’urbanisme : le trou béant dans la raquette de la régularisation », Opérations immobilières, mai 2021.
1 CE, 23 novembre 2016, n° 398068
2 CE, 3 février 2017, n° 403846
3 TA Nice, 5 mai 2010, n° 1001324
4 TA Toulon, 11 juillet 2012, n° 1201526
5 CE, 11 août 2005, n° 281486
6 CE, 13 juillet 2007, n° 294721
7 CE, 7 octobre 2016, n° 395211
8 Ibid.
Abréviations
CE : Conseil d’État
CGI : code général des impôts
PC : permis de construire