Délégation de service public – Offre irrégulière – Convention collective applicable – Compétence du juge administratif – Moyens invocables
Par une décision en date du 10 octobre 2022, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur l’appréciation de la régularité d’une offre, déposée en vue de l’attribution d’une délégation de service public, au regard des stipulations de la convention collective applicable.
La communauté de communes Granville Terre et Mer avait engagé une consultation en vue de l’attribution de la délégation de service public relative à l’exploitation de son centre aquatique.
La société requérante, dont l’offre avait été rejetée comme irrégulière, avait demandé l’annulation du contrat portant délégation de service public au Tribunal administratif de Caen.
La Tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel de Nantes, ont rejeté sa demande au moyen que son offre méconnaissait les stipulations de la convention collective applicable.
Le requérant a formé un pourvoi en cassation, invoquant tout d’abord que l’autorité concédante n’aurait pas dû écarter son offre comme irrégulière, dès lors que cette irrégularité pouvait constituer un avantage pour le candidat.
Confirmant l’arrêt de la Cour administrative d’appel, le Conseil d’État indique :
« En premier lieu, il résulte des dispositions du code du travail citées au point précédent que les stipulations d’une convention de branche ou d’un accord professionnel interprofessionnel rendues obligatoires par arrêté ministériel s’imposent aux candidats à l’octroi d’une délégation de service public lorsqu’ils entrent dans le champ d’application de cette convention. Par suite, une offre finale mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par l’autorité concédante et doit être écartée comme irrégulière par celle-ci. Il suit de là qu’en jugeant irrégulière l’offre de la société requérante méconnaissant les stipulations de la convention collective applicable, la cour, qui n’était pas tenue de rechercher si cette irrégularité pouvait constituer un avantage pour le candidat, n’a pas commis d’erreur de droit »
La société requérante invoquait ensuite l’incompétence du juge administratif pour se prononcer sur la détermination de la convention ou de l’accord collectif de travail applicable, question relevant par nature de la compétence du juge judiciaire.
Or, le Conseil d’État, faisant application de la jurisprudence du Tribunal des conflits SCEA du Chéneau (Tribunal des Conflits, 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau contre Inaport, n° C3828), écarte le moyen :
« En deuxième lieu, lorsque, à l’occasion d’un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s’élève sur la détermination de la convention ou l’accord collectif de travail applicable à une entreprise, il appartient au juge saisi de ce litige de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation, sauf s’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal.
(…)
En estimant, après avoir relevé que l’activité confiée à l’attributaire de la délégation de service public en litige avait pour objet la gestion d’un équipement, composé de deux bassins et d’une fosse de plongée, dont la vocation est principalement sportive alors même qu’il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente, qu’elle ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d’application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels et qu’elle relève dès lors de la convention nationale du sport, la cour, qui n’était pas tenue de saisir l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle eu égard à la jurisprudence établie du juge judiciaire sur ce point, n’a pas commis d’erreur de droit, ni dénaturé les faits de l’espèce. ».
Enfin, le requérant soutenait que la Cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en écartant comme inopérant ses moyens au motif que son offre avait été jugée irrégulière.
Le Conseil d’État écarte également ce moyen et confirme l’arrêt de la CAA :
« (…) alors même que l’offre du concurrent évincé demandant l’annulation du contrat de délégation de service public a été classée et notée, le pouvoir adjudicateur et l’attributaire du contrat peuvent se prévaloir devant le juge du caractère irrégulier de son offre pour soutenir que le demandeur ne peut utilement soulever un moyen critiquant l’appréciation des autres offres. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en écartant comme inopérants, au motif que son offre était irrégulière, les moyens qu’elle soulevait, nonobstant la circonstance, d’une part, que son offre ayant été classée et notée, ces moyens, en lien direct avec sa notation, étaient liés au motif de son éviction et, d’autre part, que le motif d’irrégularité de son offre n’avait pas été opposé par l’autorité concédante mais par l’attributaire de la concession »
Conseil d’Etat, 10 octobre 2022, n°455691