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Friches industrielles et dérogations « espèces protégées » : un hiatus à résoudre vite

Si l’application des règles relatives aux dérogations « espèces protégées » tend à s’affiner à mesure que le juge administratif est saisi des questions afférentes1, la pratique des friches révèle une contradiction à laquelle les porteurs de projets de réhabilitation se heurtent et qui doit être mise en lumière : réhabilitation des friches et autorisation « espèces protégées » s’articulent mal. Or, les rénovations de friches commerciales, administratives et surtout industrielles se montrent vertueuses à bien des égards et malgré ce constat partagé par les pouvoirs publics qui les encouragent, la nécessité d’obtenir bien souvent une autorisation de dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées ou leur habitat (DDEP) constitue un frein à la mise en œuvre des projets. En effet, les conditions d’obtention d’une DDEP2 ne répondent pas à la logique des travaux de remise en état d’une friche, fragilisant d’un point de vue juridique l’ensemble des projets.

I. L’encouragement national à la remise en état de friches, secteurs nécessitant souvent une autorisation de dérogation « espèces protégées »

Les friches, un secteur stratégique répondant aux enjeux environnementaux

Vivier de foncier disponible – on estime en effet entre 90 000 et 150 000 ha la superficie occupée par les seules friches industrielles en France3 –, les friches constituent un levier souhaitable pour répondre aux enjeux environnementaux contemporains.

D’une part, la réhabilitation des friches est un outil de lutte contre l’artificialisation des sols et un moyen participant à la « reconstruction de la ville sur la ville » puisque, par définition, elles permettent de travailler sur des zones déjà artificialisées.

D’autre part, la réhabilitation des friches nécessite souvent la dépollution des sols qui ont été contaminés par l’activité autrefois exploitée, de sorte que les projets ont vocation à redonner à ceux-ci leurs fonctions environnementales : renaturation, valorisation de la biodiversité, etc. Les opérations de remise en état ont également des impacts positifs sur la santé humaine et sur celle de la faune.

On pourra également citer les effets positifs des rénovations de ces sites sur l’esthétique urbaine, le verdissement des espaces urbanisés ou encore la revalorisation foncière d’un territoire.

Des leviers importants pour valoriser la remise en état des friches

La loi ALUR avait créé le dispositif du « tiers demandeur » qui permet de faire porter la réhabilitation d’une friche, non pas à son ancien exploitant, mais à un tiers (aménageur, promoteur, etc.), mais c’est avec l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) que les friches sont désormais au centre des stratégies urbaines.

La loi Climat et Résilience4 a introduit une définition de la friche5 et prévu plusieurs mécanismes visant à promouvoir leur réhabilitation :

-une dérogation peut être accordée par décision motivée de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation d’urbanisme pour permettre un bonus de constructibilité (dérogations aux règles relatives au gabarit dans la limite de 30%) ou pour déroger aux règles de stationnement ;

-un certificat de projet est créé pour informer les porteurs de projets des régimes, décisions et procédures applicables, ainsi que des délais applicables dans une opération de réhabilitation d’une friche (art. L. 181-6 c. env.).

S’agissant des outils financiers pour encourager à la reconquête des friches, le « fonds friches » peut être mobilisé6.

Les friches représentent toutefois des lieux favorables à l’installation et la reproduction d’espèces, malgré les conditions dans lesquelles celles-ci évoluent, notamment en présence d’une pollution substantielle des sols. Ce faisant, la remise en état des friches nécessite souvent que le tiers demandeur, ou plus largement le maître d’ouvrage, sollicite une autorisation de dérogation « espèces protégées », si les opérations de dépollution, de démolition, ou de reconstruction portent atteinte à celles-ci ou à leur habitat.

 II. La contradiction intrinsèque entre la remise en état des friches et les critères de la dérogation « espèces protégées », autorisation souvent incontournable pour réaliser des travaux

L’intérêt public majeur

La « raison impérative d’intérêt public majeur » est très strictement appréciée par les services de l’État et le juge administratif, et l’appréciation de cette condition – lorsque le projet porte sur la réhabilitation d’une friche – n’est pas aisée.

La nature de l’opération (friche) est un indice pour déterminer si le projet présente un intérêt public majeur :

« Considérant, d’une part, que le projet d’aménagement des parcelles en cause porte sur la réhabilitation d’anciennes friches industrielles dans le cadre d’un programme national de mobilisation de terrains publics pour des opérations d’aménagement durable, et vise à permettre l’extension de l’activité économique dans les quartiers sud de la commune du Havre ; qu’il assurera en particulier le développement de l’urbanisation de la commune au sein d’un secteur déjà largement urbanisé et bien desservi par des voies de communication, sans étalement urbain ; qu’il ressort également des pièces du dossier que l’extension de l’activité de l’une des trois entreprises comporte une création d’emplois, et le transfert des deux autres entreprises depuis le centre-ville de la commune s’accompagne de la constitution d’un pôle logistique à proximité immédiate du port » (CAA Douai, 15 octobre 2015, n° 14DA02064).

Néanmoins, la nature du futur projet est également prise en compte (logement, équipement public, commercial, etc.). Aussi doit-on anticiper qu’une DDEP puisse être refusée en raison de l’absence d’intérêt public majeur des futures installations, alors même que la réhabilitation d’une friche répond par nature à une politique nationale en plus de permettre une renaturation et donc un milieu plus favorable pour la faune.

La recherche de solution alternative

Un autre critère exigeant de la DDEP réside dans la nécessité pour le porteur de projet de rechercher une « solution alternative satisfaisante ».

Strictement apprécié, ce critère impose de justifier le choix de la localisation du projet au regard des alternatives possibles identifiées dans un périmètre pertinent (voir pour un parc éolien CAA Nancy, 14 mars 2023, n° 20NC00316 ; pour un ancien aéroport transformé en zone d’activité CAA Nancy, 8 février 2022, n° 18NC02361).

La remise en état d’une friche répond pourtant précisément à la logique inverse : la localisation de la friche précède le projet qui se construit autour du site et en fonction de ses caractéristiques. La justification de l’absence de solution alternative satisfaisante s’en trouve ainsi bien souvent malaisée, même si les documents d’urbanisme de différents rangs hiérarchiques en décident ainsi.

Aussi, si une réflexion sur la « meilleure » implantation du projet à l’échelle du terrain accueillant la friche apparaît essentielle pour assurer une stratégie d’évitement des zones les plus sensibles d’un point de vue environnemental, la comparaison de plusieurs sites apparaît quelque peu désincarnée.

Une réflexion doit être engagée afin de résoudre cette contradiction intrinsèque à la réalisation de projets qui s’inscrivent pourtant dans la droite lignée du ZAN et permettent de répondre aux enjeux environnementaux actuels, mais qui se trouvent souvent empêchés en raison de critères inadaptés.

Quelques précisions

1 Voir notamment CE avis, 9 décembre 2022, n° 463563

2 Trois conditions doivent être remplies pour qu’une DDEP soit octroyée (art. L. 411-2 c. env.) :

  • absence de solution alternative satisfaisante ;
  • raison impérative d’intérêt public majeur ;
  • maintien dans un état de conservation favorable de l’espèce.

3 Selon le rapport de la mission d’information commune créée en 2020 consacré à la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives à l’Assemblée nationale.

4 Loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

5 Article L. 111-26 c. urb. : « au sens du présent code, on entend par “ friche ” tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».

6 Une troisième édition est en cours pour financer un certain nombre de projets de reconversion des friches. Selon le site du ministère de l’écologie, « Les deux premières éditions du fonds friches ont d’ores et déjà permis de mobiliser près de 650 M€ pour financer 1 118 projets qui permettront de :

recycler environ 2 700 ha de friches

de générer près de 5 700 000 m² de surfaces de logements dont près d’1/3 de logements sociaux, et plus d’4 100 000 m² de surfaces économiques (bureaux, commerces, industrie…) et plus de 3 900 000 m² d’équipements publics ».

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Camille Morot

Avocat, intervient en droit de l'urbanisme

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