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Dérogation espèces protégées – Raison impérative d’intérêt public majeur – Article L. 411-2-1 du code de l’environnement – Conditions de délivrance

Dans un arrêt rendu le 16 novembre 2023, la cour administrative de Nancy applique, pour la première fois, les dispositions nouvelles de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement (issues de la loi APER) qui prévoient que les installations de production d’énergies renouvelables sont présumées répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), alors même que les décrets fixant les conditions d’application de ces dispositions ne sont pas encore parus au Journal officiel.

La cour administrative d’appel de Nancy rappelle les conditions cumulatives de délivrance d’une dérogation “espèces protégées”, explicitées par le Conseil d’Etat (CE, avis, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement et autres, n° 463563 ; CE, 28 décembre 2022, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales et autre, req. n° 449658) :

  • l’absence de solution alternative satisfaisante à la destructions et perturbations d’espèces protégées ou à la destruction ou à la dégradation de leurs habitats ;
  • la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • le projet répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une RIIPM.

Le juge administratif précise que, pour déterminer si une dérogation peut être accordée, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l’ensemble des aspects mentionnés au titre de ces conditions cumulatives, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire et de l’état de conservation des espèces concernées.

En l’espèce, s’agissant de la 3e condition, la cour administrative d’appel de Nancy estime que, en application des dispositions de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement, le parc éolien projeté de 18 MW bénéficiait de la présomption au regard de la condition de RIIPM et que les requérants ne sont pas parvenus à renverser cette présomption :

34. En l’espèce, le projet d’installation de production d’énergies renouvelables qui contribue à l’atteinte des objectifs fixés par le schéma régional éolien de la région du 8 octobre 2012, bénéficie en application du nouvel article L. 411-2-1 du code de l’environnement d’une présomption au regard de la condition de raison impérative d’intérêt public majeur. Même si les requérants soutiennent que le parc éolien ne contribuerait que modestement à cet objectif par une capacité de production de 18 MW correspondant à l’approvisionnement de 6 000 foyers et dont, en outre, l’estimation prévisionnelle de production annuelle ne prend pas en compte le plan de bridage et de mise à l’arrêt des éoliennes, alors que le département du Doubs dispose déjà d’un parc de soixante-douze éoliennes pouvant produire 192 MW, ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour renverser cette présomption.

La mise en oeuvre de cette présomption ne manquera pas de surprendre dès lors que le bénéfice de la présomption mentionnée à l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement est conditionné à la satisfaction des conditions prévues à l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie, lesquelles renvoient à des décrets le soin de définir ces conditions. Or, les décrets fixant les conditions pour que les installations de production d’énergies renouvelables bénéficient de la présomption au regard de la condition de RIIPM sont en cours de consultation jusqu’à ce jour (le 24 novembre). Notons tout de même qu’en l’état, le projet de décret applicable aux projets éoliens terrestres prévoit qu’une installation d’une puissance supérieure ou égale à 9 MW sur le territoire métropolitain continental bénéficierait de la présomption au regard de la condition de RIIPM, ce qui est le cas du projet litigieux.

Par ailleurs, l’arrêt commenté est intéressant à deux autres égards :

  • il n’est pas nécessaire de formuler une demande de dérogation pour mettre en oeuvre un système d’effarouchement dont il n’est pas établi qu’il perturberait l’avifaune nicheuse ;
  • le juge administratif estime que la condition relative au maintien des espèces dans un état de conservation favorable n’est pas remplie, en l’espèce, dès lors que les mesures de réduction, d’évitement et de compensation complétées par le pétitionnaire, qui reposent notamment (i) sur un système d’effarouchement et de détection dont l’efficacité n’est pas prouvée, (ii) sur la suppression de quatre éoliennes dont l’impact n’a pas été précisément mesuré, (iii) sur un bridage des éoliennes restantes en période de fenaison dans un périmètre et pour une durée insuffisants et (iv) sur des mesures compensatoires qui tiennent au bon vouloir d’exploitants agricoles, ne permettent pas de réduire l’impact résiduel à un seuil non significatif et demeurent ainsi insuffisantes pour maintenir dans un bon état de conservation deux espèces protégées, vulnérable, pour le Milan royal, et en état critique pour la Pie grièche.

CAA Nancy, 16 novembre 2023, Association LPO et autres, req. n° 20NC02164

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