Concession de service public – Application de la théorie des biens de retour aux biens qui sont la propriété d’un tiers lié au concessionnaire (oui)
Le Conseil d’État, dans une décision du 17 juillet 2025, publiée au recueil, a eu l’occasion d’apporter d’importantes précisions sur les biens de retour dans le cadre de l’exécution d’un contrat de concession.
En l’espèce, la commune de Berck-sur-Mer a cédé, en 1997, son ancienne gare routière à la société Groupe Partouche afin qu’elle soit transformée en un bâtiment ayant vocation à accueillir un casino. La société Jean Metz, dont la société Groupe Partouche détenait alors 99% des parts avant d’en devenir l’unique actionnaire, s’est vu attribuer par la commune la concession relative à l’exploitation de son casino et des services associés et a conclu, avec la société Groupe Partouche, un bail commercial dont les stipulations prévoient expressément que l’activité exercée dans le bâtiment est l’exploitation d’un casino et des services associés.
La commune de Berck-sur-Mer a lancé une consultation en vue du renouvellement de cette concession, qui a fait l’objet d’un référé devant le juge administratif. Dans le cadre de ce contentieux, l’attention s’est focalisée sur le règlement de la consultation qui imposait aux candidats de disposer, à la date de remise des offres, d’un titre de propriété du bâtiment devant abriter l’activité d’exploitation de casino au nom du concessionnaire ou d’un contrat d’occupation conclu avec un tiers propriétaire.
Le juge des référés a estimé qu’en fixant cette condition, l’autorité concédante avait méconnu le principe d’égalité entre les candidats dès lors qu’elle était pratiquement impossible à satisfaire pour les candidats autres que la société Jean Metz, titulaire sortant qui disposait, au travers du bail commercial, de la jouissance du bâtiment et, surtout, qu’elle n’était pas nécessaire à l’attribution de la concession puisque le bâtiment abritant le casino devant lui faire retour en application des principes régissant les biens nécessaires à l’exécution des services publics concédés, il appartenait à la commune de prévoir que ce bâtiment resterait le lieu d’exercice de l’activité à concéder.
La Haute juridiction administrative débute en rappelant sa décision de principe relative aux biens dits « de retour » issue, dans le dernier état de la jurisprudence, de sa décision de section du 29 juin 2018, Ministre de l’intérieur c/ Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (CE, Section, 29 juin 2018, n° 402251).
Pour rappel, dans cette décision de 2018, le Conseil d’État avait jugé que la théorie des biens de retour, aux termes de laquelle les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique, trouvait également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci.
Dans le prolongement de cette décision, le Conseil d’État juge que si les règles relatives aux biens dits « de retour » ne trouvent pas à s’appliquer aux biens qui sont la propriété d’un tiers au contrat de concession, quand bien même ils seraient affectés au fonctionnement du service public et nécessaires à celui-ci, il en va différemment lorsque :
- d’une part, il existe des liens étroits entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et du concessionnaire, lesquels permettent de regarder l’un comme exerçant une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de l’autre ou de regarder l’un et l’autre comme étant placé sous le contrôle d’une même entreprise tierce ;
- et, d’autre part, le bien, exclusivement destiné à l’exécution du contrat de concession, a été mis par son propriétaire à la disposition du concessionnaire pour cette exécution.
Dans ce cas, le propriétaire du bien doit être regardé comme ayant consenti à ce que l’affectation du bien au fonctionnement du service public emporte son transfert dans le patrimoine de la personne publique.
En l’espèce, le Conseil d’État relève que :
- d’une part, le bâtiment abritant le casino est la propriété de l’unique actionnaire du concessionnaire, qui le lui loue en vue d’y exploiter une activité de casino ;
- d’autre part, il estime, ensuite, que le juge des référés n’a pas méconnu les règles précitées en retenant la circonstance que le bâtiment du casino n’était pas la propriété du concessionnaire ne faisait pas obstacle à ce qu’il fasse retour à la commune au terme de la convention.
Aussi, après avoir rappelé que la convention portant sur l’installation et l’exploitation des jeux de casino pouvait avoir pour objet, compte tenu des obligations imposées au cocontractant, l’exécution d’un service public (CE, 23 janvier 2020, Société Touristique de la Trinité, n° 426421), le Conseil d’État juge que :
Par suite, les biens nécessaires au fonctionnement du service public ainsi confié au cocontractant, alors même que des jeux de casino y sont installés, constituent des biens de retour et appartiennent à la personne publique contractante ».
Conseil d’État, 17 juillet 2025, Commune de Berck-sur-Mer, n° 503317, Tab. Leb.